La troisième épouse

Nous connaissons Abdou depuis une bonne dizaine d'années et logeons toujours dans son hôtel lorsque nous passons à Ségou. Quand nous l'avons connu, il avait quarante ans, une femme de son âge et six enfants. Il avait aussi une « fiancée » de dix huit ans, qui logeait dans une chambre en ville qu'il lui louait. Elle était à « l'essai » pour un an, ensuite il lui ferait un enfant et puis il l'épouserait. Depuis, ils ont eu quatre enfants, la première épouse en a eu deux de plus, et donc vivent dans la grande famille deux femmes, douze enfants et quelques pièces rapportées. Cette année, dès notre arrivée, Abdou s'est mis à nous parler de son projet d'avoir une troisième puis une quatrième épouse, mais, le connaissant (mal), nous ne le prenions pas au sérieux, considérant qu'il n'en avait pas les moyens financiers. Mais c'était son sujet de discussion préféré ; et il se justifiait par son désir d'avoir encore plus d'enfants ; or sa première épouse ne peut plus en avoir, car elle est malade, diabétique et fatiguée et le docteur lui a dit que huit, ça suffisait. La deuxième estime que quatre, c'est assez pour elle ; elle a décidé de ne plus être enceinte. Et puis il nous parlait longuement de ses appétits sexuels, fier de sa force, qui justifiait aussi ses futurs mariages.

Hier soir, à la veillée, qui est longue car la nuit tombe à 18 heures, la deuxième nous a rejoint avec Abdou. Elle comprend à peu près le français, mais ne le parle pas. Elle est grande, jeune, belle, et arborait un large sourire heureux. Elle s'est débrouillée pour forcer Abdou à nous dire qu'effectivement, il était déjà fiancé, et que d'ici quelques semaines il convolerait en troisième noce.

Nous avons essayé de faire dire à la deuxième épouse ce qu'elle pensait de ce mariage ; elle semblait être très partagée ; « a bana », elle confirme qu'elle ne veut plus d'enfant. Elle est contente qu'une autre vienne participer à la tenue du ménage. Ils vivront en effet tous dans la maison de la grande famille dont Abdou est le chef, (très contesté par ses femmes) . Mais sous son grand sourire on sentait bien qu'elle allait faire une vie dure à la troisième ainsi qu'à son mari. Elle avait le statut d'être la femme de l'amour, alors que la première était celle de la raison. D'ailleurs, le lendemain matin, Abdou s'est levé avec deux heures de retard, en disant qu'il avait discuté avec elle toute la nuit de ce mariage, qu'ils avaient revu toute leur histoire commune, et que chacun l'interprète à sa manière ! Bref, ils se sont disputés toute la nuit, et à quatre heures du matin la deuxième est rentrée chez elle !

La troisième s'appelle Nana. Elle est la fille adoptive d'une femme qui tient une gargote dans la rue où elle vend des brochettes de viande et des frites. Abdou et ses amis y vont souvent ; il y a deux ans, nous y allions aussi car la viande y est bonne, ce qui n'est pas courant au Mali, car ils ne savent pas la découper. Nous pensions que Nana allait être une petite jeune de 18 ans. Pas du tout, elle a juste un an de moins que la deuxième, environ 27 ans ! Comme nous nous en étonnions auprès d' Abdou, il nous a avoué que ce n'est pas lui qui l'avait choisie, mais bien elle qui avait mis le grappin sur lui. En effet tous ses amis savaient depuis longtemps qu'elle était amoureuse de lui ; quand ils venaient chercher la viande, elle leur donnait les meilleurs morceaux, et à lui aussi. Mais il ne s'était rendu compte de rien jusqu'à ce que un de ses amis lui raconte l'histoire, et alors il a commencé à s’intéresser à elle.

La vision de la vie d' Abdou est très traditionnelle. Son bonheur sera d'avoir dans sa maison ses quatre femmes, ses vingt enfants ou plus, mais aussi tous ses garçons avec leurs épouses et enfants. Deux garçons sont fiancés et vont bientôt se marier, ils logeront dans la maison familiale. Seul hic, il reste à trouver l'argent pour construire les maisons. Ceci risque d'ailleurs de retarder son propre mariage, mais cela ne l'arrête pas dans ses projets, l'intendance suivra.

Il a aussi une curieuse manière de raconter ses mariages, « il a eu pitié de ses trois femmes », il les a « sauvées d'une vie de malheur où elles végétaient ». La mère de la deuxième est simple d'esprit et n'a pas élevée sa fille, son père est malade, et elle a passé son enfance chez des voisins qui s'en servaient comme bonne. Elle était sur le point de se prostituer, entraînée par une de ses amis. La troisième est orpheline, adoptée par la vendeuse de viande et était anormalement célibataire à son âge.  

Comments

[Chantal]

Très passionnante l'histoire de votre ami Amadou qui manifestement est fier de sa nombreuse famille.

Bises

[kiki]

Hello, hello,



J'arrive un peu tard sur le blog, alors bon voyage, vous avez encore plein de chose à voir, plein de belles rencontres à faire et à raconter !!



Ceci dit 3 épouses !!! Holala, déjà que 1 c'est épuisant ...



Bises à vs 2